Bernard COURTEAU,
Galerie Libre, Montréal - Juillet 1979
Extrait de Ur, Tabou d'Errance
Les Editions Emile-Nelligan, Montréal

 
 

Bocages
       à Jean-Claude Coenen
 
Le lin, à la croisée, donne sur ses jardins,
S'ouvre sur des saisons qui montent pêle-mêle
Ou, fontaine d'essors, à la ronce s'emmêle
Et croule fracassé de naufrages soudains.
 
Là, des forêts d'odeurs que traverse en silence
Le taffetas d'un pas qu'un fin duvet parfait
Somnolent sans nul vent parli l'élan défait
Qui jonche des sols chauds la sourde nouchalance.
 
Et sur ces fleurs charnues qu'imprègne un muse ardent.
Comme un insecte flambe au sein du soir strident,
Le regard hume l'ambre, inaudible, et se pose
 
Afin que, confondu à l'or des frondaisons.
Nimbé de rêve et d'âme, en sa métamorphose
Il trame l'oeil épars de glauques déraisons.


Benoit BUREAU
Liège, Octobre 2007

"En regardant on ne voyait rien. Tout dans le jardin était poésie et divine tranquilité"
Devant ces toiles aux proportions monumentales ou face à des miniatures tout de pastel, cette phrase de Buzzati me revient en mémoire et s'impose.
Enfin, "on ne voyait rien"...
Au commencement tout du moins, rien d'autre qu'une belle et lumineuse évidence.
Ensuite, l'oeil s'aiguise, fouille, scrute; comme on pourrait se laisser aller à le faire sur un carré de hautes herbes sauvages.
Et comme rien n'est jamais si simple ou si limpide, on commence à percevoir quelque chose qui bouge au delà du voluptueux balancement de la harpe de feuilles.
Il y a une vie, un mouvement, derrière cette paisible façade.
Et plus l'oeil s'attarde, plus la façade s'étiole, nous invitant à pénétrer, oser avancer vers des recoins secrets, sauvages et inviolés.
L'oeil continue sa percée, avec curiosité, gourmand de cet inconnu qui s'offre ainsi sans question; et nous voilà bientôt errant dans une forêt-labyrinthe d'herbes folles.
On s'y engouffre complètement, et très vite plus rien ne peux nous retenir, on glisse, on tombe, chute vertigineuse et enivrante comme dans le terrier du lapin blanc d'Alice.
On hésite à se retourner, de peur que l'univers si réconfortant et familier qui était le nôtre en pénétrant dans cette pièce il y a quelques instants encore n'ai disparu pour de bon; et que l'on soit bel et bien égaré, sans rien pour indiquer la piste qui nous ramène sur nos pas.
Mais il est déjà trop tard évidement.
On ne s'aventure pas de la sorte dans ces passages secrets sans quelques risques; le plus enivrant n'étant justement pas celui de se perdre au coeur (et âme) de cet effroyable jardin.
Effroyable de majesté, de mystère, de vie.
D'une vie secrète, inconnue et tapie.
Cachée ? ... non pas. Pour quoi, pour qui serait-elle cachée ?
...Elle est là, simplement.
Et elle était là bien avant qu'on ne la remarque.
Elle ne prête aucune attention à l'intrus.
Et pourtant on a beau marcher, marcher vers elle, on ne s'en approche jamais; pourtant elle ne fuit pas, mais reste aussi insaisissable que l'horizon.
Alors on écoute les couleurs, on regarde tout ces bruits inconnus, musique Pure, Primitive et fascinante.
Se retrouver -enfin- dans une nature jamais souillée de main d'homme.
Même le regard, notre regard est le premier à s'aventurer jusqu'ici.
Il n'aura de toute façon sur ce Monde Perdu aucune emprise, n'y laissera aucune empreinte.
Et cette vie, toute cette vie autours, qui bouge, chante, grouille, continuera sans nous, sans vous, comme elle l'a toujours fait.
 
..Puis, un instant d'inattention, de distraction et c'est en un zoom arrière vertigineux que l'on se retrouve de nouveau dans cette pîèce, devant cette toile.
Les gens parlent autours, passent, repassent.
On reste un peu bouche bée, un peu pantois, hébété.
On a envie de toucher la toile de la main, pour s'assurer, pauvre fou, qu'elle s'y enfoncerait encore aussi facilement que dans une nappe d'eau.
Les autres on-ils remarqués notre absence ?
Combien de temps sommes nous partis?
Une seconde? Une minute? Une heure?
De toute façon, de l'autre côté du cadre, ces mots n'ont pas cours, pas le moindre sens.
Mais peut être en regardant autours de vous croiserez vous le regard malicieux du jardinier fantasque qui a ouvert ces portes, ces passages.
Il est sans doute le seul à avoir remarqué votre départ, à vous avoir guidé secrètement dans les lumineuses ténèbres de ce monde, paisible nocher d'un empire de couleur.
On voudrait tout lui raconter, mais comment ?
De toute façon, un petit sourire dans la barbe blanche fait comprendre qu'il sait.
Il a tout vu. Il était là.
... et puis en se retournant on s'aperçoit que des portes, des passages, il en a fait d'autres, d'autres, et encore, partout là autour de vous.
A chaque dois, un autre angle, une autre vue, nous permettant un autre voyage.
Peut être un peu plus loin, un peu plus profond que la fois précédente.
Un autre voyage dans les jardins, les Paradous de Jean-Claude Coenen, où "...tout était poésie et calme divin."


Jacques PARISSE
Mars 1998

Jean-Claude COENEN peintre poète et paysan.
 
Il était des hauteurs de Liège, maintenant il vit et travaille - selon la formule - sur les hauteurs de l'Ardenne. Il a définitivement quitté les beaux quartiers et trouvé son port d'attache - que Jean-Jacques ROUSSEAU appelait son asile ou sa retraite - dans une belle et longue maison blanche où au creux de l'hiver, brûle, sous de vieilles poutres, sur les dalles de schiste noir, dans la pénombre qu'affectionnaient les vieux Ardennais, un grand feu de bois dans les craquements pleins de mystères participent des plaisirs de la conversation.
 
Derrière la fermée étalée, c'est la nature, l'horizon à perte de vue, des bouquets d'arbres, une prairie un peu folle et qui n'est pas pelouse. Je ne suis venu nien curieux ni en nostalgique de vacances campagnardes jadis dans la région.
Il me semble que le cadre -c'est le mot- dans lequel un artiste travaille est pour certains tout aussi important à appréhender, à sentir, que pour d'autres artistes les avatars de la vie.
 
Jean-Claude COENEN fait corps avec la nature. Il a au physique quelque chose d'ardennais. Par osmose peut-être.
La nature est son décor et la matière vraiment première de son oeuvre. Il n'est pas l'homme des panoramiques; il ne peint pas les "vastes espaces". Il est celui du fragment - en quoi il est moderne -, littéralement du "morceau nature", serré, enfermé dans des formats à l'échelle humaine.
Paradoxalement, ses visions rapprochées ne sont pas de la nature morte: les fougères, les graminées, les fleurs des champs bougent encore transfigurées par le crayon de pastel, s'inclinent, se redressent, semblent forcer les limites du cadre. Observées sur la motif, transfigurées en atelier, cohabitant dans des rapports forts (des violets, des verts), elles se dressent sur paysage de ciel, se laissent habiller de neige. Cette figuration très dessinée flirte avec l'abstraction parfois mais toujours dans des épousailles de la couleur et de la lumière.
 
Jean-Claude COENEN n'est pas un peintre de l'Adrenne mais un peintre en Ardennes. Il est là, mais en son art, va plus loin.